Jean Perdijon (Grenoble)
Le phénomène fut constaté ; et les esprits forts commencèrent à chercher dans les propriétés de la matière l'explication d'un fait qu'ils avaient d'abord traité d'impossible.
Denis Diderot (Les bijoux indiscrets)
Une explication parfaitement ad hoc a été fournie par la théorie MOND qui propose une modification de l'équation de la dynamique : il existerait une accélération critique en dessous de laquelle l'accélération n'est plus proportionnelle à la force appliquée, mais à sa racine carrée. On arrive ainsi à expliquer les courbes de rotation des galaxies, mais cela marche moins bien dans les amas. Toute modification particulière d'une loi doit être replacée dans l'ensemble de la physique et aucun accord n'est pour l'instant acquis.
D'après le principe d'équivalence exposé par Einstein pour la Relativité générale, on peut penser que, si la gravitation réduit la distance d'horizon d'une étoile à son rayon gravitationnel après effondrement pour former un trou noir, il doit se produire quelque chose de semblable pour un corps subissant une accélération violente. Considérons un observateur inertiel regardant un disque de rayon R qui tourne à une vitesse uniforme w. A la circonférence, il observe une vitesse tangentielle v = wR et une accélération centripète a = w²R. Mais, pour R et/ou w assez grands, la géométrie du disque n'est plus euclidienne et le mouvement doit être étudié dans le cadre de la Relativité : à la limite et pour w = c/R, on a v = c et a = c²/R, c désignant la vitesse de la lumière dans le vide. La contraction des longueurs et la dilatation des durées font que, à la circonférence, l'horizon des événements se referme et le temps stagne, comme pour un trou noir.
Considérons un rayon lumineux émis au centre du disque et dirigé vers la périphérie. Sa trajectoire, d'abord radiale, est progressivement déviée en sens inverse de la rotation (le disque tourne pendant que la lumière avance), avant d'être définitivement bloquée et de s'enrouler autour de la circonférence. Si l'observateur est situé à une distance supérieure à R = c/w, il ne pourra recevoir le signal lumineux. Remplaçons la source précédente par une particule chargée en orbite de rayon r (voir figure). Si celle-ci tourne à une vitesse relativiste, elle émet un faisceau intense vers l'avant, mais celui-ci ne pourra sortir de son horizon à la distance dH = R = c/w. La particule s'enferme ainsi dans une bulle d'accélération qui l'isole causalement de l'observateur extérieur. Rendue invisible au-delà de dH, elle ne peut plus être détectée que par sa gravité, comme pour un trou noir. On a dH = c/w = cv/a. On en tire dH/r = c/v. Puisque la particule est relativiste, on a pratiquement dH = c²/a, soit la distance d'horizon de Rindler.
Un objet céleste faiblement accéléré s'enferme dans une bulle très grande, mais il suffit que sa distance soit encore plus grande pour que nous soyons tenus en dehors de la bulle, ce qui nous empêche de recevoir le rayonnement qu'il émet.
Les astronomes tiennent compte de l'horizon gravitationnel quand ils étudient les trous noirs. Pourquoi ignorent-ils, malgré le principe d'équivalence, l'horizon d'accélération qui pourrait éclaircir enfin le mystère de la matière noire, en expliquant aussi pourquoi elle semble plus rare dans notre Galaxie. Cette matière énigmatique ne serait-elle pas tout à fait ordinaire : des nuages de gaz, situés principalement dans les puits gravitationnels au milieu des amas de galaxies, dont l'accélération enferme le rayonnement à l'intérieur de leur horizon ?
Longtemps, l'invisible a été le royaume des âmes. Il est encore le domaine de l'imaginaire. Si un objet n'est pas vu par l'observateur, c'est qu'il est trop petit (microbe), trop pâle (étoile) ou qu'il rayonne en dehors du spectre visible (radioactivité), mais les instruments d'optique permettent à présent de grossir les images et d'exploiter tout le spectre électromagnétique. S'il reste toujours invisible, ce peut être tout simplement qu'il est masqué par un écran (mur), camouflé par un revêtement (avion furtif) ou dissimulé derrière un horizon (trou noir), mais on dispose heureusement d'autres moyens pour détecter l'intrus, comme par exemple ses effets gravitationnels. Pour le physicien qui refuse le merveilleux, l'invisible et néanmoins grave ne peut être que caché derrière un horizon.
Référence : J. Perdijon, "La matière noire : substance exotique ou effet relativiste", Désiris, 2015.